Le féminisme comme aventure quotidienne et collective
Benoîte Groult n’est plus mais Benoîte Groult est toujours là. Son héritage intellectuel demeure et demeurera des générations encore. Plus que toute autre penseuse de l’égalité entre les femmes et les hommes, les enseignements de Benoîte Groult resteront et se transmettront de femmes en femmes, parce que Benoîte Groult nous a appris que le féminisme était forcément une aventure à la fois collective et quotidienne.
Les aventures de tous les jours de la vie d’une femme
Quotidienne, parce que toute son œuvre littéraire, construite sur le genre que l’on appelle aujourd’hui de l’autofiction, met en perspective les aventures de tous les jours de la vie d’une femme: éducation, place dans la famille, mariage ou refus du mariage, veuvage et séparations, amours impossibles, engagement intellectuel, vie professionnelle, place dans la société, citoyenneté, et plus que tout: la sororité.
Elle popularise ce concept comme dans La Touche étoile où elle écrit: « A mesure que le temps passe je me demande si la sororité n’est pas le sentiment le plus authentique, le moins frelaté, le plus résistant aux événements ».
Sororité: ce mot magnifique est à la base de l’engagement féministe de Benoîte Groult, qui embarquait sa sœur Flora (décédée en 2001 d’une crise cardiaque) dans ses productions littéraires. Journal à quatre mains, Le féminin pluriel, Il était deux fois… plus peut-être encore que ses œuvres propres, les livres écrits avec Flora Groult nous rappellent à quel point le féminisme est un engagement pour les femmes, avec un s.
Que veut dire être féministe ?
Benoîte Groult nous a appris que l’on ne pouvait pas se dire féministe si l’on n’est pas engagée pour la liberté des autres femmes, en plus de sa liberté propre.
Que l’on ne ne peut pas se dire féministe si l’on ne tire pas de son expérience personnelle un enseignement pour toutes les autres femmes.
Que seul vaut le partage.
Qu’une femme arrivée au sommet se doit d’y hisser les autres femmes avec elle.
Et que, enfin, considérer les autres femmes avec bienveillance est la base de la sororité, la base du féminisme: on ne connaît jamais ni la réalité de la vie des autres femmes, ni celle de leurs ressentis.
Le mépris des femmes qui pensent ou vivent différemment d’elle est totalement absent de sa petite musique, et elle ne cesse de se remettre en cause et en question, ne délivrant jamais de manuel du prêt à penser féministe, préférant manier les formulations interrogatives et le conditionnel. Elle aurait pu chanter comme Anne Sylvestre, « J’aime les gens qui doutent ceux qui trop écoutent leur cœur se balancer / ceux qui avec leurs chaînes pour pas que ça nous gêne font un bruit de grelot. »
Pour Benoîte Groult qui dévore Simone de Beauvoir mais la considère « trop intellectuelle et pas assez accessible », le féminisme doit sortir de l’étude philosophique et être davantage en prise avec la réalité très palpable de la vie des femmes. Le partage des tâches ménagères ou la liberté d’accès à la pilule font partie de ces réalités. La place des femmes en politique, aussi.
Dans ses ouvrages comme à longueur d’interviews,
elle raconte sa fascination pour sa mère, parangon du paradoxe féminin, femme libre sexuellement et pourtant très attachée au mariage, semblant « sortie d’une gravure de mode » mais fragile, demandant à ses filles de marcher chaloupée mais les éduquant en bonnes catholiques. Elle narre aussi ses rencontres dans le Paris de mai 68 avec des groupes de femmes féministes, réalisant avec horreur que ses préoccupations sont aussi les leurs, et en déduisant que « rien n’avance décidément assez pour les femmes ». Constat hélas, que nous pourrions à demi mot partager encore au jour de sa mort.
Une femme inspirante
En cela, en son sens de la sororité et en son attachement au féminisme du quotidien, souvent Benoîte Groult a inspiré les actions de la modeste militante de l’égalité que je suis et qui salue de loin sa disparition. De la création de Maman travaille pour améliorer la conjugaison vie active / vie personnelle des mères qui travaillent à la direction de Lettres à mon utérus, ouvrage collectif dans lequel j’ai voulu mettre à l’honneur les artistes féministes de notre époque au travers de leurs relations fascinantes avec leur organe féminin, en passant par la volonté farouche de vouloir permettre à toute femme de vivre dignement de son travail, comme le recommandait Simone de Beauvoir, parfois terre à terre, l’action féministe que j’essaye de mener est guidée par la volonté de ne jamais perdre de vue le quotidien et d’essayer de toujours manier la sororité.
Plutôt qu’un exemple à suivre, une défricheuse
Benoîte Groult ne s’envisageait nullement comme un exemple à suivre, mais plutôt comme une défricheuse, elle fut aussi une grande militante du droit à mourir dans la dignité. La dignité pour soi, la dignité pour les autres femmes, la dignité pour les hommes dont jamais Benoîte Groult ne se positionne comme l’ennemie, expliquant même que bien des enseignements féministes lui ont été délivrés par des proches, amis ou amants, hommes.
Mais jusque dans ses critiques des autres femmes ou des autres féministes, Benoîte Groult reste bienveillante. Jamais elle ne se laisse aller à émettre un jugement de valeur et même en désaccord de fond, elle choisit de conscientiser sa propre subjectivité vis-à-vis des écrits féministes.
Ainsi lorsqu’elle évoque Virginia Woolf, Benoîte Groult écrit:
« Virginia Woolf avait raison: « Tuer la fée du foyer reste le premier devoir d’une femme qui veut écrire. » Si j’osais! Mais les fées du foyer ont la vie dure, et dans mon cas, il faudrait tuer dans la foulée la mère et la grand-mère! Woolf a sous-estimé le problème: elle n’avait pas d’enfants et Beauvoir non plus. Il aurait fallu me prévenir il y a très longtemps. »